L'enlisement

Leon Gambetta Kerfank

Avec Kerfank, la colline oubliée, Pierre-Francois Lebrun réalise un documentaire d’époque, avec témoignages des principaux protagonistes et images d’actualité. Sauf qu’il raconte des faits remontant à 1870 et qu’il lui faut tout reconstruire, sur la foi de documents d’archives. Il fait endosser à des comédiens les costumes de ceux qui ont été impliqués dans les faits et s’adjoint les services de Benjamin Botella (Le quatuor à cornes) pour tourner les scènes d’action dans le studio d’animation de JPL. Le jeu en vaut la chandelle car avec ce film, nous est contée une séquence peu reluisante de notre histoire nationale. À l’été 70, la France cède aux provocations de Bismarck et déclare la guerre à ce qui n’est pas encore l’Allemagne mais ne tardera pas à le devenir. En quelques semaines, les Prussiens assiègent Paris, Napoléon III capitule. La Troisième République est proclamée et se promet de repousser l’adversaire. Une seconde mobilisation est lancée, des civils bretons s’engagent pour sauver la nation. Sans le savoir, ils prennent alors un aller simple pour l’enfer. Kerfank, la colline oubliée entre dans la complexité d’un fait historique qui a prêté à bien des rumeurs et des spéculations.

FILM

KERFANK LA COLLINE OUBLIÉE

de P.F Lebrun et F Richard (2007 - 54’)

Lors de la guerre franco-allemande de 1870, 55 000 mobilisés bretons sont rassemblés sur le plateau de Conlie, à l'ouest du Mans, pour être formés au métier militaire. Mais, démunis de tout et contraints à l'inaction, ils s'y morfondent dans des conditions tragiques avec la misère et la maladie sur place et l'injustice et le déshonneur pour l'ultime contingent engagé dans la bataille.
Construit comme une enquête tournée quelques années après la guerre, ce film raconte, à travers les récits des témoins et les images recomposées de ce drame, l'aventure vécue par des soldats sans armes, abandonnés sur une colline boueuse par des généraux d'opérette et des politiciens cyniques. Épisode méconnu de la première guerre européenne moderne, l'affaire du camp de Conlie préfigure l'absurdité et l'horreur des conflits contemporains.
>>> un film produit par Thierry Gasnier - Avéria, en coproduction avec JPL Films

INTENTION

La nébuleuse histoire du camp de Conlie

par Pierre-François Lebrun

Un film puzzle

Faute de recherches historiques sérieuses et objectives, l’histoire du camp de Conlie et de l’armée de Bretagne a longtemps donné lieu à des interprétations idéologiquement orientées, le plus souvent par le mouvement nationaliste breton. La théorie d’un complot organisé par les Républicains pour éliminer les mobilisés bretons soupçonnés de chouannerie a longtemps circulé. Il y a eu beaucoup d’exagérations, en particulier sur le nombre des morts. Même si la République porte une lourde responsabilité dans le drame rien ne permet d’étayer scientifiquement ces rumeurs. Les causes de l’échec sont multiples et les responsabilités partagées entre Kératry et Gambetta. C’est pourquoi je ne voulais pas faire un film avec un récit linéaire et un point de vue unique. Je souhaitais faire un film-puzzle où il y aurait une dizaine de personnages et que chacun apporte sa part d'éclairage sur cette histoire, du simple mobilisé au Ministre de la Guerre. Que l'on passe sans arrêt d'un personnage à un autre, d'un lieu à un autre et que le spectateur s'emploie ainsi à reconstruire lui-même les différentes facettes de l'événement. Avec ces différents points de vue, on évitait ainsi tous les pièges du manichéisme et du simplisme.


Un documentaire pas ordinaire

Je disposais de beaucoup de textes : presse, récits, témoignages, mais pas d'images. Mais comment faire un film sans images, sans photos, sans gravures, sans lieu non plus puisqu'il ne reste aucune trace à Conlie. Cela limitait le champ de la représentation. C'est à partir de ce constat qu'est venue l'idée de mettre en scène. Pour autant, je ne parle pas de fiction. Il n'y a que les maquettes qui aient été remises en scène, mais de façon non réaliste, pour créer une distance. En ce qui concerne la partie jouée par des comédiens, le parti pris était de faire témoigner les personnages face caméra comme si le documentaire était tourné deux ou trois ans après les faits et que les témoins revenaient sur les lieux des événements. Chaque mot dit dans le film a été écrit ou prononcé à l’époque. Il s'agit de souvenirs et d'extraits d'auditions. En contrepoint, les scènes de maquettes sont des flash-back oniriques évoquant des visions possibles de la réalité vécue par les personnages. Ma volonté était de sublimer le passé pour lui donner une dimension tragique et émotionnelle. Je ne parle pas de documentaire-fiction, je préfère parler simplement de film historique.

L’HISTOIRE

Beaucoup d’hommes et pas de soldats

Champ de bataille Kerfank

En juillet 1870, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Les défaites se succèdent en Alsace et en Lorraine. En septembre, l’empereur Napoléon III capitule à Sedan avec 80 000 de ses soldats. La Troisième République est proclamée. Mi-octobre, alors que les armées prussiennes assiègent Paris, le Ministre de la Guerre, Léon Gambetta, appelle à la levée en masse. Émile de Kératry, député de Brest, ancien officier de l’Empire au Mexique, répond à l’appel et propose la création de l’armée de Bretagne. Cette armée sera composée des derniers hommes disponibles pour la défense du pays dans les cinq départements bretons. Mobilisés à la hâte au nom de Dieu et Patrie, ces civils sont regroupés à Conlie, un village au nord-ouest du Mans sur la ligne de chemin de fer Paris-Brest.


C’est là que, sur un terrain de 500 hectares couvert de milliers de tentes, ils devront suivre une instruction militaire avant de partir lutter contre l’envahisseur qui progresse rapidement vers l’Ouest. À la fin du mois de novembre 1870, ils sont environ 50 000 dans le camp. Beaucoup d’hommes et pas de soldats ! déclare dépité le général lorientais Auguste Gougeard venu inspecter les troupes. C’est ici que commence le drame de Conlie.
La désorganisation du camp est totale. Les livraisons d’armes et de matériel n’ont pas été faites à temps. L’instruction militaire est dérisoire. Faute de fusils, les exercices se font avec des bâtons. Condamnés à l’inaction, les mobilisés s’occupent comme ils peuvent et avec l’arrivée des rigueurs de l’hiver. Ce qui aurait pu passer pour un aimable camp de vacances se transforme peu à peu en enfer. La pluie incessante et glaciale transforme le camp en un véritable cloaque : Kerfank, la ville-boue, comme l’appellent très vite les malheureux Bretons.
Pour la plupart d’entre eux, cette situation va durer de novembre 1870 à janvier 1871. Trois mois à attendre des armes toujours promises et jamais livrées, trois mois de pagaille, de corvées et de survie dans la fange collante sans aucune perspective d’action alors que le front n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres. Trois mois pendant lesquels la maladie va progresser à grands pas au milieu de ces soldats sans armes. La typhoïde et la variole seront alors des ennemis plus féroces que les Prussiens.
Et puis, fin décembre, pour les plus chanceux, ce sera une évacuation désordonnée vers Rennes suivie de semaines d’attente dans les parcs de la ville à pourrir de misère et de pneumonie dans le froid sous le regard ému des Rennais. Pour les autres, ce sera enfin l’honneur d’aller combattre. Placés au point le plus exposé de la ligne de défense, en sabots ou même pieds nus avec des fusils rouillés incapables de tirer une cartouche, ils seront tenus responsables de la défaite du Mans, le 12 janvier 1871.
On a tout dit sur cet obscur chapitre de l’Année terrible. Les théories les plus macabres ont été échafaudées. Les travaux récents des historiens nous permettent aujourd’hui de dépasser les polémiques pour revenir à une vision plus nuancée du drame. Gambetta et Kératry portent tous les deux la responsabilité de l’échec du camp de Conlie. Jeunes et fougueux, ils partageaient l'illusion que l’on pouvait improviser une armée en quelques semaines. Gambetta eu tort de promettre plus qu’il ne pouvait accorder. De son côté, Kératry ambitionnait de jouer un rôle démesuré, dépassant ses propres aptitudes. Le général de Marivault qui le remplaça et évacua le camp parla de tous ceux qui dans cette guerre souhaitaient se faire, avec le sang des autres, une renommée personnelle.

BIOGRAPHIE

Pierre-François Lebrun

Lebrun Pierre-Francois réalisateur

Après des études de cinéma à Paris III, Pierre-François Lebrun travaille comme scénariste pour la télévision puis comme assistant-réalisateur. En 1993, il passe à la réalisation avec un court métrage de fiction, Les morts ont des oreilles, remarqué dans de nombreux festivals internationaux.
Il a réalisé une quinzaine de documentaires pour les chaînes du service public autour de l'histoire : À la recherche du temps vécu, Kerfank la colline oubliée (prix du documentaire aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois), Anne de Bretagne l’héritage impossible, Notre maison, Les villes portuaires et les mutations urbaines : Nantes mémoires d'escale, La ville le fleuve & l'architecte, Dunkerque d'un port à l'autre, Entre deux eaux les métamorphoses d’une île, les gens de mer, Des hommes à l'amarre, Des feux sur la mer (prix de la Marine Nationale au Festival du film maritime de Toulon), La mine sous la mer, Boat movie.


En 2014, Pierre-François Lebrun tourne durant une année Du cœur au ventre, chronique d'un séjour au restaurant social de Nantes à la rencontre de ceux qui d'habitude échappent à notre regard. En 2018, il poursuit cette démarche de proximité et d'apprivoisement mutuel avec le film documentaire Feuilles libres tournée durant six mois au plus près des détenues du Centre pénitentiaire pour femmes de Rennes.
En mai 2020, après deux mois de confinement, il parcourt seul la Bretagne à la rencontre de responsables de lieux culturels et de festivals et réalise en quelques semaines À guichets fermés. Avec Colères d'affiches, il dresse le portrait du célèbre graphiste Alain Le Quernec et renoue avec sa passion pour l'image publique en collaborant à la scénographie de l'exposition du Musée de Bretagne Face au mur.
Pierre-François Lebrun vit près de Rennes et travaille actuellement à son film Le marin imaginaire, consacré aux liens qui unissent l’œuvre du réalisateur Jean-François Laguionie et l'univers maritime.

REVUE DU WEB

Kerfank, la ville-boue en breton

BRETAGNE.BZH >>> Hormis quelques tombes remarquables ou à Lesneven la statue du général Le Flô, Ministre de la guerre du Gouvernement de la défense nationale, peu de monuments sont consacrés aux protagonistes du conflit.
BÉCÉDIA >>> Le camp de Conlie, drame ou cafouillage ? Cette armée souffre plus des intempéries, du désordre général et des querelles d’hommes que du feu ennemi.
LOIRE 1870 >>> Le scandale de cette affaire et l'indignation en Bretagne repose sur le fait qu’on ait rassemblé tant d’hommes pour en faire une armée, que ces hommes n’ont jamais eu la préparation suffisante et qu'ils furent finalement couverts d'opprobre. La question se pose de savoir quelles sont les causes de cette mauvaise préparation et qui en sont les responsables.

COMMENTAIRES

  • 26 Octobre 2023 20:17 - fraboulet

    Je suis d'accord avec ce qui est dit par Yann-Fañch Millet. Le fait de sacrifier une population dans l'indifférence totale a quand même des connotations racistes, et n'est pas qu'une histoire de "négligeance

  • 17 Janvier 2022 14:55 - Yann-Fañch Millet

    Bonjour, je trouve que de mettre à égalité les culpabilités de Kerartry et Gambetta est un peu fort de café. S'il est vrai que le "cafouillage" du début est indéniablement lié aux ambitions politiques de ces deux personnages tordus, la suite qui tourne au "drame" est plus à mettre sous la responsabilité de Gambetta et je trouve que c'est hypocrite de ne pas le mentionner...
    De même réduire l'enjeu de l’événement à une seule question technique de mauvaise préparation en occultant complétement, même s'il est minime, l'aspect politique entre la France et la Bretagne manque de rigueur d'analyse.

CRÉDITS

avec Eddy del Pino, Philippe Robert, Sylvain Delabrossse, François Le Gallou, Jean-Matthieu Fourt, Vincent Primault, Alain Kowalczyk, Pierre Gondard, Jean Barrier, Emilien Tessier, les voix de Camille Kerdellant comme narratrice et Yann Nédélec pour Jean-Marie Abhervé-Guéguen

scénario Pierre-François Lebrun
réalisation Pierre-François Lebrun et Fabrice Richard
musique originale Gabriel Levasseur
création maquettes Benjamin Botella
image Fabrice Richard, Camille Le Quellec, Patrick Guérault
prise de son Henry Puizillout, Philippe Virlois
maquillage et costumes Claude Gorophal
postiches et coiffure Chantal Gabiache
décors et accessoires Françoise Philippe
lumière Jean-Pierre Bonnet, Didier Melledo, Jocelyn Raoult
machinerie Jean-Noël Yannou, Mohamed Elasri, Lucien Morin, Morgan Aubin
couturière Myriam Rault

stagiaires réalisation Vanessa Bigot, Thomas van Nedervelde
construction et animation maquettes Benjamin Botella, Juan Perez Escala, Fabien Drouet traitement images maquettes Rodolphe Dubreuil
montage Claude Le Gloux
étalonnage Marcello Cilurzo
design sonore Henry Puizillout
mixage Thierry Compain
production Averia
coproduction JPL Films et France 3 Ouest
avec le soutien de la Région Bretagne, du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, et de la PROCIREP-ANGOA

Artistes cités sur cette page

Pierre-François Lebrun

Pierre-François Lebrun

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